Warhammer 40K - Rogue Trader

Warhammer 40K - Rogue Trader
par CekterDown

L'espace : la dernière frontière. Voici le voyage du vaisseau spatial Enterprise. Sa mission : explorer de nouveaux mondes étranges, chercher de nouvelles formes de vie, de nouvelles civilisations et construire avec elles un univers de savoir et de partage.

"Ah ben non pas du tout, on est là pour exploser les xénos et combattre l'hérésie, nous !"

Ah oui pardon.

Rogue Trader se passe dans l'univers tout à fait glauque et dystopique de Warhammer 40 000, appelé W40K pour les intimes. Derrière ce nom faisant penser à une huile de graissage universellement reconnue pour son efficacité, se cache en fait une licence foisonnante qui a plus de 40 ans.

Petite rétrospective pour celles et ceux qui ne connaissent pas W40K. Il s'agit de la déclinaison "futuriste" d'un jeu de figurines à peindre créé dans les années 80 par les anglais de Games Workshop : le bien nommé Warhammer. Il présente une vision déformée d'une Europe de la renaissance (ce qui en faisait le premier jeu Renaissance-Fantastique) où un empire germanique central guidé par un empereur affronte sans relâche tout un tas d'ennemis tant extérieurs (le chaos et ses dieux) qu'intérieurs. La société est donc violente, fanatisée, dictatoriale et totalement délirante. Le jeu de figurine s'est développé et décliné au fil du temps, passant par le jeu de rôle ("Warhammer, le jeu de rôle"... On s'en doutait.), les romans (à la qualité aléatoire) et bien entendu, les jeux vidéo. Le succès a été grandissant au fil des décennies et Games Workshop a même été un des rares éditeurs de ce secteur à ne pas trop souffrir de la crise des années 90-2000 (mais on développera ce point une autre fois.).

En 1987, et fort d'une belle aura et ayant envie de renouveler ses ventes, Games Workshop décide de transposer son univers dans un futur galactique, au 40e millénaire (comme ça, on a de la marge.) où l'humanité, colonisatrice de l'ensemble de notre galaxie, se retrouve une fois de plus aux prises avec tout un tas d'ennemis. L'un d'entre eux, voire même le principal, étant encore et toujours le chaos et ses dieux maléfiques. Si la société impériale dans le jeu original vous semblait fleureter dangereusement avec un fascisme crasse, vous n'aviez encore rien vu.

Spécistes, pervers, impérialistes, glorifiant la force et la grandiloquence, méprisant les faibles et écrasants les différences au nom de la pureté de la race humaine ; l'imperium galactique est une saloperie sans nom. Croyant se dresser en rempart contre le chaos, elle sème les graines de sa propre destruction, entretenant par là même ce dont elle pense se protéger. Les autres espèces conscientes ne sont pas beaucoup plus sympathiques : des orks verdâtres et ultra violents, des Eldars purificateurs et méprisants, etc. Chaque nouvelle extension s'empilant comme un mille-feuille dans un lore déjà bien touffu.

Les stars de cet univers sont sans conteste les Spaces Marines. Des humains génétiquement modifiés, qui mesurent plus de deux mètres vingt, et sont musclés comme John Cena, ultra entraînés et ultra équipés. Ils sont le bras armé de l'empereur, des guerriers d'élite regroupés en Codex sous la houlette de leur chef, descendant génétique direct du chef suprême. Fort heureusement, et comme revers de la médaille, il existe aussi les Spaces Marines du Chaos, eux aussi organisés en Codex parce que pourquoi pas. Chaque Codex chaotique dépendant également d'un des fils, déchu cette fois, de l'empereur. Tout ce petit monde se mettant joyeusement sur la tronche, car, comme l'annonce le moto du jeu lui-même : "au 41e siècle, il n'existe que la guerre".

De plus, le plan primaire (notre univers physique connu) n'est qu'une face de la réalité, il existe un autre plan, un plan extérieur d'où viennent les dieux et abominations du chaos : le warp. C'est grâce au warp que l'humanité a pu se déplacer à travers les immensités vides de l'espace et coloniser autant de systèmes stellaires ; mais c'est aussi parce qu'elle se déplace dans le warp qu'elle a attiré l'attention des dieux maléfiques. Comme toujours dans Warhammer 40K, tout n'est que paradoxe et les uns s'alimentent des autres tout en croyant les combattre. Et c'est donc au milieu de ce joyeux bordel, que vont devoir naviguer nos Libres-Marchands (traduction dans notre langue de Rogue Trader).

Étonnement, le Rogue Trader d'Owlcat Games est le tout premier crpg de la licence de Games Workshop. Il y a pourtant eu des dizaines d'adaptations en jeu vidéo. Principalement des STR, on s'en doute, mais aussi du tactical, du FPS (dont le très réussi Boltgun), du coop, de l'asymétrique, je me demande même s'ils n'ont pas fait des jeux mobiles. Bref, tout et surtout n'importe quoi. Ce qui s'explique aisément par la politique d'attribution de licence de la part de Games Workshop. En gros, ils vous la vendent peu importe ce que vous voulez en faire, tant que vous respectez le lore à 100%. Si demain, vous avez une idée de jeu de cartes à collectionner sur ordinateur dans l'univers de Warhammer, tant que vous vous appliquez à coller au matériau d'origine, Game Workshop n'y trouvera rien à redire. Et tant pis pour vous si votre jeu est nul ou fait un bide.

Des dizaines d'adaptations donc, des jeux moyens, pas mal de jeux mauvais, voire très mauvais, et quelques pépites qui, mathématiquement, ne manquent pas d'émerger. Ce qui est bien entendu le but premier de Game Workshop : inonder le marché du jeu vidéo avec son logo, et s'il y a un bon jeu au milieu tant mieux. De vrais libres-marchands... Pourtant, il faut reconnaître qu'au milieu de leurs très mauvais jeux, et par une magie de contraste inexplicable, on retient encore mieux leurs bons jeux.

Et Rogue Trader (oui, on y arrive.) fait partie de ceux-là. Si vous avez tenu jusqu'ici (bravo) vous devez vous demander "mais c'est quoi alors ces libres-marchands ?". Très grossièrement ils sont l'équivalent tordu et futuriste de nos corsaires caribéens. Ce sont des familles nobles ayant des ressources considérables et mandatées par Terra (notre planète, là où il y a l'empereur.) pour explorer les confins de notre galaxie. Ils ont un ou plusieurs vaisseaux, des milliers d'hommes d'équipage, et le droit de faire à peu près ce qu'ils veulent. Oui, vous avez bien lu, dans un empire galactique fasciste, on peut enfin incarner des personnages qui n'auront pas peur de se faire oblitérer pour avoir dit zut à la mauvaise personne !

Rogue Trader étant avant tout un jeu de rôle sur table, son adaptation semblait une évidence. Et c'est tout naturellement que OwlCat Games, fort de leur expérience réussie avec Pathfinder, s'y sont collés. On y joue le rôle d'un des héritiers potentiels (il y en a plusieurs.) de la maison Von Valancius. Prestigieuse lignée millénaire de Libres-Marchands du secteur Koronus. Suite à un malheureux concours de circonstances, vous vous retrouvez à la tête de cette maison, bien décidé à faire prospérer l'héritage. Bien entendu, ce ne sera pas de tout repos, il y aura des machinations, des combats, d'autres machinations, encore des combats, de l'aventure, de l'exploration, et des combats. En même temps, le jeu s'appelle Warhammer, vous vous attendiez à quoi ?

Au-delà de ces considérations d'ordre général, il faut plusieurs conditions pour réussir un bon crpg. Voyons si les devs ont su y faire.

Une DA à la hauteur. Ici on est gâté puisque OwlCat Games a repris la "patte graphique" des Pathfinder : des portraits, une vue isométrique dans laquelle on peut faire librement circuler notre caméra, tout est simple, efficace et clairement maîtrisé. Les décors sont beaux, les effets de lumière sont modestes, mais présents, les couleurs sont bien choisies, et l'ensemble respecte l'univers sombre et glauque de Rogue Trader. Alors certes, nous ne sommes pas sur des graphismes époustouflants comme un certain GOTY de l'année 2023, mais l'ensemble est très agréable à regarder, et ses imperfections rendent le jeu peut-être plus sincère et moins plastique. Un petit bémol toutefois sur l'interface, très chargée. Elle fait le taf et respecte le canon de Warhammer 40 K, mais elle est parfois un peu trop présente par sa décoration.

Une musique et un sound design qui prolonge l'ambiance. Les chants de cathédrale, les tambours de guerre, mais également le bruit des épées-tronçonneuses ou des corps criblés de balles participent à l'ensemble et en rendent toute la dimension violente, sale, épaisse voulue par le titre. On aura comme seul regret l'absence d'un choix clair entre doublage complet ou aucun doublage. En effet, des fois les dialogues sont doublés, et des fois non. Personnellement, je ne suis pas un aficionado des doublages dans ces jeux car je n'aime pas qu'on m'impose une voix quand je lis (je ne suis d'ailleurs pas non plus amateur des audio book). Mais c'est au goût de chacun. J'ai pour ma part fini par désactiver les voix dans les options, réglant ainsi la question.

Un gameplay classique et fluide. Comme souvent dans les crpg, l'exploration se fait en temps réel zone par zone. C'est uniquement en cas de combat que le jeu passe en mode tour par tour et qu'une grille apparaît. Si la présence de cette grille peut sembler vieillotte à certains, elle est pourtant très utile dans un système qui se veut avant tout tactique. Elle permet des placements précis, condition sine qua non pour réussir des combats parfois difficiles. Un mot sur les modes de difficulté et sur les réglages qui en découlent. OwlCat Games a, comme avec Pathfinder, prévu un réglage très fin des paramètres du jeu. Il y a les modes classiques : histoire (beaucoup trop facile), normal, téméraire (personne n'est avantagé.), difficile et punitif (même pas j'y touche). Se rajoute un mode totalement personnalisable qui va vous permettre de faire votre propre tambouille suivant vos préférences. Enfin, cerise sur le gâteau, la difficulté se change à la volée, même en plein combat ! C'est une initiative heureuse, à laquelle j'adhère complètement, et qui devrait être la norme quel que soit le type de jeu.

Des batailles épiques. En plus des combats tactiques classiques, le jeu propose également des combats de vaisseaux spatiaux. Le vaisseau amiral étant un personnage important de l'histoire, il est améliorable, customisable et va nous demander de choisir avec soin qui désigner à tel ou tel poste vital (canons, boucliers, warp, etc). Même si les combats ne sont pas transcendants, ils restent une sympathique respiration dans l'enchaînement des missions "à terre", et permettent de se sentir encore plus concerné par le bien-être du vaisseau.

C'est une évidence, le jeu ne plaira pas à tout le monde. Son univers particulier, très obscur pour le profane, est certes présenté par des lignes de dialogues et des bulles d'aide, mais demande de toute façon un effort pour y entrer. Il n'a pas cette reconnaissance immédiate, ni cette facilité de lecture qu'apportent certains jeux avec leur univers plus génériques ou faussement originaux. Mais la contrepartie est qu'il est parfois son propre gatekeeper et qu'il peut devenir bloquant. Comment en effet choisir entre deux lignes de dialogue aux résultats aussi catastrophiques l'un que l'autre si on a aucune idée de ce qu'elles impliquent ?

Le titre propose heureusement une encyclopédie plutôt bien faite, mais je vous conseille quand même fortement de vous renseigner un minimum sur les grandes lignes de l'univers avant de vous lancer dans le jeu. Vous ne l'apprécierez que plus. Il existe des tonnes de ressources en ligne, dont des chaînes Youtube passionnantes, sur le sujet. Pas besoin pour autant de devenir un expert en Warhammer 40K, Rogue Trader se suffisant alors à lui-même pour combler les lacunes.

Au final, presque par hasard, vient de sortir un excellent crpg. Alors, oui, bien sûr, il a des bugs, oui bien sûr il y a cette politique de DLC crasseuse imposée par Games Workshop, oui bien sûr, c'est un univers violent, désagréable et totalement fascisant. Mais c'est surtout un excellent jeu dans un univers jamais exploré dans un crpg. Que vous soyez curieux de ce qu'est cet univers, ou que vous cherchiez un jeu de rôle qui change un peu des combats en armure de plaques contre des gobelins entre deux romances improbables, alors je ne peux que vous conseiller Warhammer 40K : Rogue Trader.

P.S. rassurez vous, il y a aussi des romances improbables. Visiblement, c'est important de se draguer entre deux batailles contre des monstres tentaculaires...