Call of Cthulhu

Call of Cthulhu
par CekterDown

Des tentacules de papier

Call of Cthulhu (CoC) est un jeu vidéo d'aventure en vue à la première personne, se déroulant dans l'univers du jeu de rôle sur table du même nom. Il en est même l'unique adaptation officielle et en porte fièrement le titre : Call of Cthulhu - The Official Video Game.

Attendu comme le messie depuis son "annonce" en 2014, il connait un développement erratique puisqu'il passe en 2016 de Frogwares (studio ukrainien connu principalement pour sa série de jeu vidéo Sherlock Holmes) à Cyanide (studio français connu pour ses adaptations en JV de Blood Bowl). Il finit par sortir en 2018 sur PC et consoles.

Le jeu est donc basé sur la licence de Chaosium, l'éditeur historique du CoC sur table. Il en reprend les grands principes , tout en les expurgeant, c'est à dire une fiche de personnage où les compétences principales (Médecine, Psychologie, Investigation, etc.) ont un score en pourcentage. Facilement appréhendable (on comprend aisément ce que représente 50% de chance de réussir son jet), et transparent (pas de calculs complexes cachés), ce système montre ici toute son efficacité.

Le scénario, emblématique de la licence, est écrit et dirigé par Mark Morrison, un des co-auteurs du jeu de rôle papier. L'illustre créateur de ce dernier n'étant autre que Sandy Petersen, qui a participé notamment à la conception des niveaux de Quake.

C'est ce jeu que j'ai décidé de streamer pendant 6 séances hebdomadaires au cours du mois de janvier 2023.

Darkwater, mon amour

Le scénario, très classique, nous place dans la peau d'un détective privé vétéran de la première guerre mondiale traumatisé par ses expériences passées ainsi que par des cauchemars horribles et récurrents.

Pourquoi un détective ? Tout simplement parce que c'est le rôle le plus communément admis qui vous permet d'aller partout, de poser des questions à tout le monde, et de porter une arme. C'est aussi le rôle qui vous permet de côtoyer aussi bien la police que les malfrats, après tout vous êtes dans cette zone trouble où vous êtes enquêteur sans toutefois être obligé de faire respecter la loi. Et ça tombe bien, puisque c'est à vous qu'un vieil homme, ravagé par la mort tragique et obscure de sa fille Sarah, va demander de résoudre ce mystère. C'est donc avec cette mission que vous vous rendez sur l'île de Darkwater, au large de Boston. Petite ile sur laquelle se déroulera l'ensemble de l'aventure.

Face à l'amer

La réception critique du jeu n'a pas été bonne. Il a une note Metacritic de 67 et les magazines de jeux vidéo ont tiré à boulet rouge sur un titre qu'ils ont jugé dépassé techniquement, convenu au niveau du scénario et surtout trop linéaire.

Si je n'ai rien à dire sur la technique, d'une part parce que je m'en fiche, et d'autre part parce que je ne m'y connais pas, je souhaiterais revenir sur les autres critiques du jeu qui viennent, à mon sens, d'une incompréhension entre la volonté du studio et le public.

En effet le scénario est convenu, il vous fait littéralement passer par tous les tropes constitutifs du mythe de Cthulhu : village de pêcheurs patibulaires, contrebande, policiers impuissants, manoir mystérieux, docteur se livrant à des expériences douteuses, tableaux inquiétants et érudits rendus fous par des lectures interdites. Rien ne nous sera épargné et tout nous sera montré.

La linéarité du titre est réelle également : ce n'est pas un monde ouvert, il faut résoudre quelques puzzles assez simples pour progresser, et seuls quelques choix de dialogues nous donnent l'impression d'incarner notre personnage. On est trimbalé de péripéties en péripéties, notre malheureux héros ne comprenant pas grand chose et essayant de réagir plus que d'agir à des évènements qui le dépassent. Même la fiche de personnage, qu'on nous demande de remplir au début, ne nous apporte au final que peu de choses pendant le jeu.

Tout ceci est vrai, tout ceci pourrait être un reproche et a été reproché au jeu. Et pourtant c'est exactement pour toutes ces raisons qu'à mon avis le jeu est *particulièrement* réussi car il a su retranscrire en jeu vidéo ce qui fait l'essence même d'une partie de Call of Cthulhu !

Réanime à tort

Pour bien expliciter mon propos, je suis obligé de revenir sur plusieurs considérations concernant le mythe de Cthulhu tel qu'il s'est construit depuis que H.P. Lovecraft a écrit sa célèbre nouvelle. Il y a eu les différentes nouvelles de Lovecraft donc, qui dévoilaient peu à peu les différents aspects du mythe, les différents dieux, civilisations disparues et autres considérations. À sa mort, c'est August Derleth, son éditeur et ami, qui repris le flambeau en publiant lui aussi des nouvelles se déroulant dans le même univers, puis il y en eu d'autres dont le célèbre Brian Lumley qui aborde le mythe autrement, d'une façon plus moderne pourrait-on dire, où les protagonistes sont un peu plus résilients et arrivent à être confrontés à plusieurs aspects des horreurs qui bordent notre réalité. Là où chez Lovecraft, on avait une nouvelle = un personnage principal rendu fou ou mort ; nous avons chez Lumley des personnages qui peuvent croiser des abominations et pourtant survivre à la confrontation, au moins pour un temps.

Toutefois, les histoires se déroulant dans l'univers du mythe ont des points communs : l'humanité est secrètement prise au milieu d'une guerre entre des entités qui dépassent l'imagination. Certains humains en semblent conscients, d'autres essayent d'en profiter, d'autres enfin sont pris au milieu malgré eux, mais tous ne sont que des pions sacrifiables et sacrifiés. C'est pourquoi dans Call of Cthulhu le jeu de rôle, on ne joue pas des magiciens puissants, des guerriers sans peur ou des élus sauveurs de l'univers, mais des humains lambda qui se retrouvent embarqués dans un malström d'horreur et de violence auquel ils ne font que *réagir*. Les entités qu'ils affrontent se jouent d'eux, leurs connaissances seront quasiment inutiles et leur destin, tragique, sera principalement de choisir entre le moins mauvais de deux maux.

C'est exactement le ressenti que l'on a en jouant à Call of Cthulhu le jeu vidéo. Notre protagoniste ne fait que réagir, il se débat comme il peut tout en subissant la plupart du temps. Dépassé par des évènements qui lui échappent, il essaye de se raccrocher à ce qui lui reste de santé mentale en se concentrant sur son enquête, qui semble alors bien dérisoire par rapport à tout le reste.

Retour sur investissement

Le scénario est un condensé de tropes ? Oui bien sûr, car le jeu est une vitrine, une introduction à un univers que tout le monde ne connait pas forcément. Et c'est la résilience de notre héros qui nous permet de traverser ces différents tropes issus tant des écrits de Lovecraft que de ceux de Derleth ou de Lumley. Ce scénario est un condensé qui vous crie "regardez tout ce qu'on peut faire avec notre jeu de rôle ! Ce que l'on vous montre ne demande qu'à être développé, utilisé, déconstruit et reconstruit".

Le jeu est linéaire ? Oui évidement qu'il l'est. Vous êtes sur des rails parce que le personnage que vous incarnez l'est également. Il est prisonnier de son destin, il ne peut que subir et réagir. Comme dans l'ensemble des œuvres de Lovecraft, le libre arbitre est une illusion et les forces en présence sont tellement délirantes que nos actions sont l'équivalent de jeter un caillou dans la mer pour détourner un tsunami. C'est sa linéarité, son inéluctabilité entremêlée d'espoir vain d'arriver "au bout", qui nous plonge dans un carcan vidéoludique en miroir. Je joue pour connaitre la fin d'un scénario sur lequel, tel mon personnage, je n'aurais que bien peu de prises. L'importance des miroirs, du personnage qui vous regarde et se regarde vous regarder, vient renforcer le propos.

Ce jeu a été décrié parce qu'il a été mal compris, mal perçu et probablement mal vendu. On nous promettait un jeu de rôle, ce qui dans l'imaginaire vidéoludique implique un certain nombre de passages obligés (des tropes là encore, tiens donc). Il s'agissait en fait d'un jeu d'aventure. Plus proche d'un walking sim que d'un Skyrim.

After the flood

Je ne saurais trop vous conseiller de jouer à ce jeu, mais en gardant bien en tête que vous jouez à un walking simulator. La musique est prenante et superbement orchestrée. Les visuels sont très inspirés, toutefois les personnages sont issus d'un autre temps tellement ils sont foirés. L'ambiance est oppressive et angoissante. Le mythe de Cthulhu est parfaitement développé et, même si on n'arrive jamais à la brillance inattendue d'un Call of the Sea (autre walking sim somptueux), il est une excellente introduction et un très bel hommage vidéoludique, non pas à l'œuvre de Lovecraft, mais bel et bien au jeu de rôle Call of Cthulhu.

P.S. Si vous n'avez pas envie de faire le jeu, vous pouvez toujours regarder mon long play sur Youtube où vous m'entendrez frémir de trouille, et développer également quelques-unes des théories présentées ici. C'est par là : https://www.youtube.com/playlist?list=PLUCKGxxXxMSNy35bMsGomwdhncNrdC98w